La conservation

Marie Connan © Julien Cresp


   Marie Connan est mosaïste et restauratrice, installée dans le Maine-et-Loire. Elle intervient principalement sur des commandes de particulier, mais est également en charge de chantiers de restauration de mosaïques anciennes et Art déco, notamment celles d’Odorico. Après avoir travaillé un temps dans le domaine de la mode, Marie Connan se découvre une passion pour la mosaïque. Reconvertie, c’est dans son atelier qu’elle exerce aujourd’hui. Nous l’avons rencontrée, pour qu’elle nous parle de son métier, de son art et des travaux d’Odorico.

 

   - La mosaïque se rapproche-t-elle plutôt de la peinture ou de la sculpture ?

   « Ce serait une erreur de rapprocher la mosaïque de la peinture ou de la sculpture. C’est ce qu’ont fait les mosaïstes pendant des années d’ailleurs : ils ont été à la botte des peintres en faisant des interprétations ou des adaptations de peintures en mosaïque. Mais, la mosaïque a son langage propre, et le jour où les mosaïstes ont compris ça, ils ont gagné en émancipation. Après, on utilise des techniques empruntées à la sculpture pour créer le support de la mosaïque, mais son langage reste un langage propre. »


   - La fabrication a-t-elle évolué ? Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui, tant dans la conception que dans l’usage de la mosaïque ?

   « Elle a évolué à travers le temps à cause des besoins. Par exemple, la technique « à l’envers » a été inventée par un italien appelé Facchina*, qui a été en charge du chantier de l’Opéra Garnier. Il a été choisi parmi d’autres concurrents, certainement parce qu’il a tiré ses prix, donc il a eu besoin d’un système pour gagner du temps : il a séparé la pose du travail de coupe qui s’effectuait en atelier, où on coupait et collait les tesselles sur un papier fort avec une colle réversible. Ensuite, ces motifs étaient envoyés sur les chantiers pour être posés. On a gagné en vitesse mais aussi sûrement en finesse, parce qu’on a séparé les équipes des gens qui travaillent le mieux et restaient en atelier, des gens qui travaillaient moins finement et s’occupaient alors de la pose. Donc là, c’est un exemple d’une technique qui est apparue par le besoin du chantier, et qui existe toujours. Il y a des artistes aujourd’hui qui sont de vrais chercheurs dans la matière et qui ont fait avancer le médium d’un point de vue technique. »

* Le père d’Isidore Odorico a travaillé pour Facchina.

 

   - Quand on lit sur les différents aspects du travail de la mosaïque, on se rend compte que peu de noms féminins apparaissent, hormis celui de “colleuse”. Est-ce qu’au même titre que la peinture, l’histoire a-t-elle retenu les noms des mosaïstes masculins au détriment de ceux des femmes ? 

   « Jusqu’à il y a peu, la mosaïque était un métier du bâtiment, donc un métier masculin. C’est pour ça qu’on n’a peu de femmes connues sur les époques anciennes, sauf en tant que petites mains. L’atelier d’Odorico employait par exemple des femmes comme ouvrières, mais on ne retient qu’Odorico comme chef d’entreprise. C’est très différent aujourd’hui. […] On a encore des hommes, mais il me semble que la profession est beaucoup plus féminine, déjà parce que les femmes sont entrées dans les métiers du bâtiment, et que la mosaïque n’est plus seulement un métier du bâtiment, c’est un art à part entière. La valeur s’est renversée comme dans un certain nombre de métiers parce que les femmes se sont autorisées à faire un métier d’homme. »


   - Vous qui connaissez bien le travail d’Isidore Odorico, comment le définiriez-vous ? 

   « Son travail a une place particulière, car si on parle des mosaïques plus anciennes, comme les mosaïques en pierre romaine, on ne les trouve plus in-situ. Les mosaïques romaines sont prélevées, restaurées et mises dans des musées. Les mosaïques byzantines sont dans les églises. À l’époque d’Odorico, on trouvait les mosaïques dans le quotidien des gens : dans une cuisine, dans une salle de bain… Elles ne sont pas présentées comme des œuvres d’art, même si on leur reconnaît une valeur. Cette mosaïque-là est proche des gens, elle n’est pas dans un musée ou dans une église. »


   - On peut voir avec la figure d’Odorico, que la mosaïque a une fonction plus qu’esthétique : elle fait totalement partie de l’architecture de certains édifices angevins. Outre la vocation purement décorative, quelles autres fonctions attribueriez-vous à la mosaïque ? 

   « On peut attribuer à la mosaïque la même fonction que toutes les œuvres artistiques. C’est comme si vous me demandiez la fonction de la peinture. Je pourrais répondre que c’est ce qui nous fait homme, nous différencie des autres espèces sur cette terre. On a ce besoin de faire jaillir quelque chose de nos mains. L’art fait partie de l’essence humaine, et la mosaïque au même titre que les autres arts. »


   - Que pensez-vous de la production industrielle comme celle des usines Briare, qui ont participé à la fortune d’Odorico ? 

   « Pour moi, la mosaïque induit un vrai travail de découpe et de composition, donc la mosaïque industrielle revient un peu à faire du carrelage. Si on veut composer de la mosaïque, il faut faire de la découpe. Acheter par exemple des smalts prédécoupés limite la composition, ou alors il faut les redécouper soi-même. »


   - Revenons-en à la conservation. Les techniques de conservation et de préservation sont connues pour la mosaïque antique. Qu’en est-il de la mosaïque plus récente comme celle du siècle dernier ? 

   « Pour les mosaïques antiques, on a une technique pour les prélever et les présenter au musée, puisque ce sont des mosaïques qu’on n’utilise plus. Quand je restaure une mosaïque Odorico, elle est toujours en fonction, donc la restauration dépend de cette fonction, du matériau et du support. Dans une prochaine restauration pour une ancienne façade de magasin qui est maintenant une habitation, des voitures sont passées et ont cassé les angles, des trous ont été faits pour ajouter des enseignes : il y a un nettoyage à faire pour enlever les traces d’hydrocarbures… Le plus difficile dans ces chantiers est de retrouver des matériaux proches. C’est un casse-tête car nombre d’entre eux ne sont plus fabriqués. On arrive parfois à mettre la main sur de vieux stocks qui circulent encore mais c’est difficile, donc il faut être inventif et trouver des choses pour les remplacer. J’essaie dans la mesure du possible de trouver des pièces d’époque, mais je dois souvent faire appel à des éléments contemporains. Il m’est arrivé de retrouver des matériaux encore fabriqués, donc je les achète, mais ils sont neufs et n’ont donc pas la même histoire que ceux d’origine. Je laisse alors tel quel en expliquant au propriétaire qu’il fallait laisser le temps faire son travail. Il y a un protocole qui est de nettoyer et de remettre à nu les matériaux. Quand ils sont en place, on doit vérifier s’il n’y a pas de décollement du support. On essaie de ne pas avoir à les déplacer mais à les recoller directement avec des injections de produit pour remplir les poches et resolidariser le support et la mosaïque. Sinon, on les enlève, on nettoie le support et on ajoute soit un nouveau matériau, soit un ancien qui est tombé. Le but est dans la mesure du possible de remettre le matériau et de ne pas refaire à neuf. »

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